Dans un monde où les divisions identitaires façonnent de plus en plus les relations sociales, Arthur et Ibrahim propose une fable moderne à hauteur d’enfant. Accessible dès neuf ans, cette pièce interroge avec finesse des thèmes aussi profonds que le racisme, l’héritage colonial et l’appartenance culturelle. À travers l’histoire touchante de deux copains de classe, elle célèbre la force de l’amitié comme réponse aux barrières invisibles dressées par les adultes.

La mise en scène ludique d’Amine Adjina sublime cette aventure initiatique, portée par un quatuor de comédiens talentueux : Mathias Bentahar et Romain Dutheil dans les rôles d’Arthur et Ibrahim, tandis qu’Anne Cantineau et Kader Kada incarnent les figures parentales. À travers une scénographie épurée et des dialogues vifs, le spectacle se construit autour du jeu, du rêve et du langage enfantin. On y voit des différentes partis d’une carte de l’Algérie, des mappemondes au plafond, des rambardes de skate… Et surtout, ces sacs de voyages Tati, typique qui servent à la fois de coussins et de remparts, une utilisation et présence au combien ingénieuse.

L’intrigue se pose sur Arthur et Ibrahim, inséparables, jusqu’au jour où Ibrahim décide de ne plus jouer avec son ami, à la demande de son père. Ce dernier, marqué par son passé d’immigré algérien, projette ses traumatismes sur son fils, persuadé que la France ne l’acceptera jamais. « Arthur, il est français Et tu sais que les Français ne nous aiment pas. Tu as vu comme ils parlent de nous à la télévision ». Arthur déterminé à retrouver son ami, entreprend alors une quête absurde : devenir arabe. « Mais moi si je suis pas arabe Je suis quoi alors ? » Ce point de départ, à la fois naïf et percutant, donne naissance à une série de situations cocasses et poignantes, où le regard enfantin met en lumière les absurdités et la violence du monde adulte. « Est-ce que votre fils doit pâtir de votre souffrance? »

Fidèle à la parole des cours de récré, le texte alterne entre maladresses syntaxiques et inventions verbales drolatiques, comme lorsque Ibrahim évoque son « présuce » ou menace son ami de le « désarabiser ». Ces jeux de langage confèrent aux personnages une sincérité rafraîchissante, rendant leur amitié d’autant plus touchante et réelle. Quelques expressions crues ponctuent également le texte, reflétant une authenticité sans filtre qui ancre la pièce dans une réalité tangible. « On est copains fraternels ». L’adresse directe aux spectateurs, principalement des enfants, renforce cette proximité. Arthur et Ibrahim se muent en narrateurs complices, brisant le quatrième mur pour livrer leurs pensées. À travers ces apartés, le public est plongé dans leur imaginaire, oscillant entre candeur et questionnements existentiels. Une immersion totale qui souligne la force du théâtre comme espace de réflexion et de partage.

Un des moments les plus marquants est celui où Arthur imagine un pays utopique, un élan lyrique qui pousse chacun à rêver d’un autre monde. De même, la confrontation entre la maîtresse et le père d’Ibrahim cristallise le choc entre deux visions de la France. D’un côté celle, universaliste, prônée par l’école, et de l’autre celle d’un homme blessé par l’histoire coloniale. Pourtant, l’humour et la tendresse viennent constamment désamorcer la tension, rappelant que l’enfance reste un espace où tout peut encore se réinventer. Un moment fort pour les enfants qui rigolent de gêne. Au final, ils partent tous avec un bagage et des discussions à avoir avec sa famille et/ou son enseignant.

Arthur et Ibrahim est une œuvre nécessaire, qui parvient à traiter de sujets complexes sans jamais perdre en légèreté. Drôle et bouleversante, elle nous invite à regarder le monde à travers les yeux d’un enfant et à ne jamais cesser de croire en l’autre. Une pièce essentielle qui résonne longtemps après que le rideau soit tombé.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de Malakoff jusqu’au 8 février 2025

18 février2025 Bonlieu Scène NationaleAnnecy (74)
19 février 2025 Bonlieu Scène NationaleAnnecy (74)
20 février 2025 Bonlieu Scène NationaleAnnecy (74)
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