Certaines soirées au théâtre laissent une empreinte particulière, un mélange de jubilation intellectuelle, de tendresse inattendue et de rire franc. 1664, la dernière conférence spectaculaire d’Hortense Belhôte, fait partie de ces rares instants où le savoir devient un terrain de jeu réjouissant. À la croisée du cours magistral, de l’autofiction et du stand-up féministe queer, ce spectacle hybride électrise la scène comme la salle.

Hortense Belhôte a l’art de parler d’Histoire sans jamais ennuyer, de mêler l’intime, le personnel et le politique sans didactisme pesant. Et surtout, elle arrive à créer un lien direct, sincère, avec son public. Dans 1664, elle décortique une année a priori banale avec la fondation de la brasserie Kronenbourg, la chute de Fouquet, les prémices de l’absolutisme de Louis XIV, pour en faire le point de départ d’un récit éclaté, drôle, percutant et sensible. Le tout, projeté comme un road trip érudit dans sa Clio d’étudiante, avec pour GPS l’Histoire de France et pour carburant les souvenirs d’une jeunesse marquée par les doutes, les excès et les grandes questions identitaires.

La scène devient un espace libre, mouvant, décomplexé, où PowerPoint, anecdotes personnelles, cours de danse baroque et analyse politique se télescopent joyeusement. On rit beaucoup, d’un fou rire complice plus que d’un rire de moquerie tant qu’Hortence Belhôte excelle dans l’autodérision. L’érudition est là, discrète et complice, loin de toute posture professorale. Elle jaillit comme une conversation entre ami.e.s, nourrie d’images détournées, de sauts dans le temps, de punchlines inattendues, de danses et d’un goût certain pour le contre-pied. Cela se fait même avec l’orthographe, une douce provocation comme « tuttau de danse ».

Toutefois sous la légèreté apparente de cette forme foutraque et pop, se cache un vrai geste artistique, subtil et puissant. D’autant plus, qu’elle fait participer le public de bien des façons. Les spectateurs sera cueillis avec surprise. En parallèle de la grande Histoire, Hortense Belhôte trace une ligne intime, pudique et claire, autour de ses propres addictions, de la découverte de son homosexualité et du chemin sinueux de l’émancipation. 1664 devient alors bien plus qu’une conférence, c’est un coming-out scénique tout en finesse, une manière de mettre à nu les zones d’ombre sans pour autant se livrer au pathos.

La réussite du spectacle tient aussi à sa capacité à faire cohabiter tous les niveaux de lecture. On peut venir s’amuser de la juxtaposition improbable entre une bière populaire et un ministre déchu, mais on repart en se questionnant sur l’héritage colonial, la fabrique du pouvoir ou encore le rôle de l’art comme outil de résilience. Ce théâtre-là est une invitation à penser autrement, à relire les récits dominants, à explorer le passé à partir de soi. Et cela, tout en préservant la joie, la liberté et la poésie.

1664 n’est pas un spectacle comme les autres : c’est une détonation douce, une prise de parole maîtrisée qui fait vibrer le cœur autant que l’intellect. On en ressort à la fois ému, inspiré, curieux et un peu plus libre. Hortense Belhôte continue de tracer un chemin rare, entre connaissance et création, là où le théâtre retrouve toute sa vitalité, son irrévérence et sa puissance de transformation.

Où voir le spectacle? 
Au théâtre de l’Atelier jusqu’au 17 juin 2025

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