Le collectif Mind the Gap aime sortir des sentiers battus. Les cinq artistes, à la fois auteurs et metteurs en scène, mettent en commun leur folie douce. Mais parfois, écrire autour d’un costume et d’une danse peut poser quelques problèmes.
Dans le hall, l’impatience du public est palpable : l’heure prévue est dépassée, et la pétulance grandit. Lorsque la salle s’ouvre enfin, on découvre une scène minimaliste. Pas de décor, juste les comédiens en tenue ordinaire. Ils nous attendent avec une annonce importante à faire. Peut-être s’agit-il d’un problème de dernière minute : la mort d’un comédien, une invasion de punaises de lit, une entorse ? Non. Thomas n’a pas grand-chose à dire, si ce n’est évoquer les origines du projet : une rencontre et une photo sur les réseaux sociaux d’un costume fascinant. Ce costume, une sorte de monstre aux cornes imposantes, inspire immédiatement : « Grand, beau, tout en poil. » Un symbole qui fait rêver, qui ouvre l’imaginaire.
Les costumes racontent ici des histoires de nature, de territoire et de liens. Mais Karine, la costumière, a besoin de temps pour les réaliser : cinq costumes différents, spectaculaires et à fort impact. Tant pis pour le bilan carbone : « On voulait vraiment ces costumes. » Ces créations, bien qu’inspirantes et magnifiques, posent des défis inattendus. Elles sont peu confortables, peu maniables. Pourtant, il est impensable de les abandonner dans des caisses poussiéreuses. Le spectateur est-il prêt pour cette création hors normes ?
Le suspense monte à mesure que les comédiens occupent l’espace. « Trop obscur », disent-ils. Lorsqu’on ne peut pas parler, comment raconter une histoire ? Mais le collectif trouve des réponses inattendues. Les cinq interprètes – Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano, et Coline Pilet – manient le silence, le verbe, les expressions corporelles avec une dextérité fascinante. Sous leur fausse simplicité se cachent une espièglerie contagieuse, une loufoquerie assumée et une dose d’absurde. Leur maîtrise de l’ambiguïté nous pousse à nous questionner sans cesse : est-ce vrai, tout ce qu’ils racontent ?
Sourires nerveux et éclats de rire se mêlent dans le public. On reste captivé, même lorsque l’intrigue s’égare ou flirte avec l’incohérence. La lumière, douce et complice, accompagne notre regard, guidant progressivement notre attention vers la scène.
Peu à peu, l’ordinaire devient incongru. L’imagination prend des proportions incroyables. Pour que l’année soit bonne et la terre fertile en est la preuve éclatante. En sortant, difficile pour la plupart des spectateurs de résumer ce qu’ils viennent de voir. Ce n’est pas un spectacle qui se raconte : c’est une expérience qui se vit, qui se partage avec ses proches. On finit par lâcher prise, porté par une musique entêtante qui semble emporter tout le monde, même les techniciens en régie. Le collectif donne tout, jusqu’à l’épuisement. Au final, nous subissons tous un traumatisme satisfaisant. Les applaudissements résonnent avec enthousiasme et les sourires illuminent les visages. Certains spectateurs s’attardent même pour immortaliser la scène avec des photos. Ces émotions fortes s’inscrivent durablement dans la mémoire.
Un spectacle atypique, qui dérange autant qu’il enchante. Parfois, il faut se perdre pour mieux retrouver son chemin.
Où voir le spectacle?
Au Théâtre 13 à partir du 26 novembre 2024 jusqu’au 6 décembre 2024
30 rue du Chevaleret
75013 Paris