Woyzeck est accusé de meurtre. Pour lui faire avouer la vérité, des techniques singulières d’interrogatoire sont déployées. Aucun échappatoire ne lui sera laissé.
Tout commence sur un ton presque comique. Des soldats, venus de l’extérieur, entrent en scène et se mettent au garde-à-vous. Avec force et précipitation, ils se rasent et se rincent à grandes eaux. Le plateau se transforme en un espace glissant, propice aux chutes et aux glissades de toutes sortes. Mais bientôt, le soldat Woyzeck se distingue et devient le centre de l’attention. L’ambiance change alors radicalement.
Il doit avouer son crime. Pour y parvenir, un scientifique, un bourreau anonyme, le soumet à une série de sons étranges et oppressants. Enfermé dans un caisson qui se remplit lentement d’eau, qui va se teinter de sang, Woyzeck se trouve exposé, vulnérable. Il ne porte qu’un maillot de corps et un slip, mais c’est sa folie qui attire tous les regards. Ce monstre victime raconte son histoire liée à la folie de l’armée et celle d’un homme à l’ego démesuré. Pendant ces monologues intenses, l’inquiétude grandit dans la salle. L’eau est-elle chaude ? Le comédien risque-t-il de se blesser dans ses gesticulations frénétiques ?
Bertrand de Roffignac habite son personnage avec une intensité saisissante. Son trouble est si palpable qu’il envahit toute la salle. On ne peut détourner les yeux de lui. La tension qu’il dégage est presque insupportable et elle se transmet aux spectateurs. L’atmosphère devient pesante, à tel point que certains portent la main à leur bouche, stupéfaits. Woyzeck se met à livrer sa vérité : les humiliations subies de la part de sa hiérarchie, les blessures infligées à son ego par la suspicion d’avoir été trompé par sa femme, Marie.
Un écran, placé sur scène, projette en direct ce qui se déroule sur scène. Cette mise en abime agit comme un outil de distanciation, une sorte de dispositif scientifique visant à « prouver » l’intérêt de l’expérience. Mais, paradoxalement, cela ne fait qu’accentuer le malaise. L’intensité monte et les choses deviennent de plus en plus brutales. Seul le résultat importe : Woyzeck finira par avouer son féminicide, incapable de supporter l’idée d’avoir été humilié par une femme. Son corps se tord, se contracte, se noie dans l’eau. Il est vrillé, abruti, assommé.
La metteuse en scène, Karelle Prugnaud, déploie une ingéniosité remarquable dans cette mise en scène. La gêne, palpable dès les premières minutes, ne nous quitte jamais, jusqu’à un moment de surprise où des panneaux géants affichent en lettres capitales : WARUM ? (Pourquoi ?). Cette question, répétée comme un leitmotiv, résonne dans les esprits. Pourquoi ? Pourquoi tout cela ? On ressent dans cette interrogation l’inachèvement du texte par Georg Büchner, laissant une impression troublante qui persiste bien après la fin du spectacle. Assis dans nos sièges, on prend un instant pour digérer ce à quoi on vient d’assister. L’esthétique est là, brute et maîtrisée. Le reste ? Il nous hante et nous invite à réfléchir.
Une approche créative, déroutante et profondément inconfortable, qui marque durablement les esprits. De la souffrance d’un homme peut naître la vérité.
Photo Vahid Amanpour
Où voir le spectacle?
Au Théâtre 14 jusqu’au 7 décembre 2024