François Rabelais est un auteur d’une grande facétie. Il nous le prouve en racontant son surprenant ouvrage « Gargantua ». Les géants aussi ont des vies palpitantes et complètement improbables.
Peu de compagnies osent s’attaquer à « Gargantua ». Les mises en scène de cette œuvre sont souvent longues, dépassant allègrement les trois heures. Pierre-Olivier Mornas propose une approche plus concise et dynamique. Rabelais s’adressant directement au lecteur, il est tout naturel que le comédien crée une proximité immédiate avec le public, brisant le quatrième mur. Il invite ainsi les spectateurs à découvrir un texte du XVIe siècle, souvent méconnu. Après « Pantagruel », Rabelais poursuit sa satire sociale, ce qui lui valut de nombreuses attaques. Son œuvre, profondément irrévérencieuse, vise les nobles, le pouvoir religieux et les savants, qu’il ridiculise en dévoilant leurs hypocrisies et leurs excès.
Pierre-Olivier Mornas insuffle un nouveau souffle à cette parodie du roman de chevalerie. Il retranscrit avec un enthousiasme communicatif la vie de Gargantua, depuis sa naissance jusqu’à la gestion de la guerre picrocholine. Naturellement, le comédien a dû opérer des choix dans la narration, mais il a su préserver la substantifique moelle. Ce texte, empreint d’une farce médiévale, peut sembler parfois déroutant pour un public contemporain. Pourtant, Mornas parvient à en conserver tout le caractère jubilatoire. Pour capter l’attention du spectateur, il joue avec les registres de langue, rendant le spectacle accessible à tous tout en suscitant la réflexion. Ainsi, il ne se contente pas de divertir, mais stimule également l’esprit critique.
On s’émerveille de la naissance extraordinaire de Gargantua. Après onze mois de gestation, Gargamelle accouche de son fils par l’oreille. Tout comme sa mère, il dévore la nourriture avec une appétence démesurée. Son premier cri fut : « À boire ! ». L’enfant développe très vite une curiosité insatiable. Avec une ardeur juvénile, il raconte à son père ses expériences pour trouver la matière la plus agréable pour s’essuyer le derrière. Quelle surprise de découvrir que le meilleur est un oisillon bien duveteux ! L’évolution du jeune homme prend un tournant décisif lorsqu’il part étudier à Paris sous la tutelle de Ponocratès, dont le nom, construit sur l’expression latine signifiant « puissance de travail », est tout un programme. Grâce à son érudition, il met fin à une guerre et devient roi. Cette ascension fulgurante interroge : que faut-il en conclure sur l’éducation des élites, d’hier et d’aujourd’hui ? Tous les personnages, de Gargamelle à Ponocratès, font entendre leur voix avec une palette d’émotions riche et variée : puissance, tendresse, timidité, exaltation. Nous sommes plongés au cœur de l’action, des conflits et des doutes.
Ceux qui connaissent bien le texte apprécieront les critiques acerbes de Rabelais, notamment celles dirigées contre la religion. Le personnage du frère Jean incarne à merveille cette satire, en créant une abbaye libertaire, sans murs ni règles strictes, où chacun est libre de faire ce qu’il veut, y compris de vivre dans le luxe ou de se marier. Cette caricature des ordres religieux fait écho à l’émergence de l’évangélisme, qui prônait une interprétation plus libre des textes sacrés. Il n’est pas nécessaire d’être un spécialiste de la Renaissance pour apprécier cette aventure rocambolesque. La mise en scène d’Anne Bourgeois, simple mais efficace, nous plonge au cœur de l’action et nous permet de nous rapprocher des personnages ainsi qu’à leurs travers. Avec une grande délicatesse, Pierre-Olivier Mornas s’approprie l’espace scénique et crée une complicité immédiate avec le public, comme s’il racontait une histoire à chacun de nous. Son talent de conteur est indéniable. il se met au service du texte pour nous faire vivre une expérience unique. À l’issue du spectacle, nous repartons avec une leçon simple : rions et vivons joyeusement. Quelle meilleure morale pour une comédie satirique ?
Une pièce qui sollicite à la fois notre intelligence et notre sens de l’humour, nous invitant à un voyage dans le temps aussi réjouissant que stimulant.
Où voir le spectacle?
Au théâtre de Poche-Montparnasse jusqu’au 16 décembre 2024
75 boulevard du Montparnasse
75006 Paris