À chaque extrémité du filin, deux hommes se font face. Deux circassiens, chacun maître de son agrès de prédilection. Ce qui les relie, au-delà de leur passion pour le cirque ? L’adrénaline, intimement liée au risque et à la peur.
Le fildefériste cultive sa passion chaque fois qu’il grimpe sur son outil de travail. Il s’appuie sur son expertise, son assurance mais aussi sur son incertitude. Dès que Lucas Bergandi, virtuose du fil, se tient sur ce fil de quelques millimètres diamètre, tout peut basculer à tout moment. La chute est inévitable. Elle peut être bénigne, mais aussi tragique, jusqu’à entraîner la mort. Comment ne pas évoquer la chute de Victoria Chaplin, malgré ses décennies de savoir-faire ? La peur, omniprésente, est partagée autant par l’artiste que par le public. Ce dernier est captivé par l’audace et l’adresse du circassien, oscillant entre l’admiration et la crainte d’un accident. Pourtant, ce sujet reste tabou dans le monde du cirque : pourquoi parler d’un risque qui est, après tout, l’essence même de cet art ?
Clément Dazin, directeur artistique de la compagnie La Main de l’Homme, propose ici une mise en scène audacieuse et singulière. Avec deux saltimbanques et une heure de spectacle, on pourrait s’attendre à une simple suite de numéros qui se succèdent et se complètent. Mais l’approche choisie est tout autre. L’acrobate, habituellement maître de l’horizontalité ou de l’oblique, mêlant techniques et distances, composant avec les hauteurs et les directions, tente ici de rester statique. Un défi qui complique encore davantage sa prestation. À cela s’ajoute une autre rareté : sa voix. Les circassiens s’expriment rarement sur scène, encore moins sur leur vie et leur pratique. Ici, ils se dévoilent avec simplicité et une grande sensibilité.
Les deux hommes échangent avec une complicité touchante, mettant des mots sur des non-dits, sur des émotions longtemps restées dans l’ombre. La chute, bien que différente pour un équilibriste ou un jongleur, joue un rôle crucial : elle défie la gravité, transforme le risque en art et révèle notre rapport au monde. Cette philosophie, au cœur de leur spectacle, illustre une forme de transgression. Mais attention, il ne s’agit pas d’un spectacle sombre ou triste. Au contraire, les émotions jaillissent dans toute leur diversité : de la frayeur au rire, en passant par l’émerveillement. Ainsi, le temps s’échappe, emporté par la force et la rareté de cette expérience.
Quand Lucas s’exclame : « J’ai peur, Clément. Ça fait longtemps que ça ne m’est pas arrivé, mais j’ai peur… », tout le monde se reconnaît dans ces mots. À travers ce témoignage intime, les artistes révèlent des émotions universelles, profondément humaines. On oublie souvent que, finalement, la vie ne tient qu’à un fil.