Sentez-vous sur votre nuque le souffle d’un buffle? Si oui, lorsque vous vous retournez, allez-y doucement. Vous risquez de devoir faire face à plus d’un regard, mais une vraie histoire.
On aurait pu croire que la famille avait tout pour être heureuse. Puis un jour, un évènement des plus graves changea à jamais l’équilibre de la famille. Un soir, le petit frère, Max a disparu. Le père leur donna juste une explication : un lion l’avait dévoré. Les frères et soeurs n’auraient pas d’autres explications et devaient chacun faire le deuil à sa manière. Leur mère, elle avait une attitude des plus étranges. Sans trop savoir pourquoi, elle en voulait beaucoup à son mari. Il fallut beaucoup de temps pour qu’elle sorte de son enfermement. D’ailleurs, du jour au lendemain, elle était devenue une autre, devenue accro aux jeux. Sa vie passait en premier jusqu’au jour où elle aussi ne rentra pas. Le père, toujours aussi loquace, leur dit que leur mère avait été attaquée par des fauves. Maintenant la famille c’était eux et uniquement eux. Les enfants devaient gérer la blanchisserie et leur père souvent restait enfermé dans son espace, interdit à tout le monde. Le commerce n’était pas très florissant à cause de ces nouvelles laveries où chacun venait avec sa solitude. Un petit coup de pinceau et un nouvel aménagement et les choses pouvaient changer. Le changement venait d’ailleurs aussi. Les hormones poussaient les garçons à jouer de rivalité violente allant même provoquer des plus faibles dans les rues. Les filles aussi commençaient à chercher autre chose. Toutefois, leur esprit ne restait pas tranquille. Pourquoi Max a t’il disparu comme ça du jour au lendemain comme leur maman? Pourquoi les lions s’en seraient pris à eux spécialement? Pourquoi cultiver le silence et les secrets?
L’auteur catalan Pau Miró propose un texte dense, fort et sans compromis où l’on voit des traces du franquisme. Des gens disparaissaient du jour au lendemain pour la sécurité du pouvoir. Même après la déchéance du dictateur, ces disparitions restent tabous. Y a t’il des morts utiles pour l’équilibre d’un système? La forme polyphonique nous immerge au plus proche de chaque membre de la fratrie qui se trouve confronter à des doutes, des peurs, des questionnements… Les buffles conçus fascinent autant qu’ils intriguent avec leur tête imposante, leur mufle épais et ces cornes spectaculaires. On se laisse capter par ces visages très réalistes. On se pose des questions sur la manière dont ils ont été réalisés. Leur humanité est d’autant plus valorisée avec le travail précis et plein d’entrain des cinq marionnettistes, Guillaume Clausse, Claire-Marie Daveau, Agnès Oudot, Jean-Baptiste Saunier et Pierre Tallaron. Seul ou avec les autres, avec ou sans animal entier ou partiel, ils transmettent leur énergie, leur enthousiasme, leur fragilité. On sent leur complicité qui fait oublier les gestes de manipulation. Quand les animaux se grattent les cornes ou soufflent, c’est criant de vérité. La compagnie Arnica et Émilie Flacher arrivent grâce à une ingénieuse mise en scène et des artistes talentueux, passionné à emporter le spectateur dans un autre monde, dans une fable singulière.
Une proposition audacieuse qui montre la richesse qui peut se cacher derrière la marionnette.
Jusqu’au 23 janvier 2022
Le Mouffetard
73, rue Mouffetard
75005 Paris