Chère spectatrice, cher spectateur,

Nous nous étions mis sur notre 31 pour vous accueillir le 15 décembre 2020, date annoncée de  notre potentielle réouverture. Nous sommes ici, au théâtre, avec nos plus beaux habits, tout est prêt, les projecteurs sont montés, les artistes sont là, assommés, hébétés, nous sommes seuls.

Passés les effets de l’annonce, nous nous rendons compte que cette fois nous ne la comprenons pas. Bien sûr, la promesse était conditionnée, nous le savions, bien sûr le nombre de cas (que nous suivons chaque jour depuis le début de l’épidémie) n’est pas passé sous la barre de 5.000. Nous le savons parce que nous écoutons, que nous sommes de bons élèves, et nous le sommes depuis le début de cette crise. Mais nous n’avons pas écouté que cela, nous avons tout écouté… Et nous avons entendu que les théâtres n’étaient pas des lieux  de contamination, nous avons entendu que les théâtres avaient mis en place des protocoles stricts, nous avons entendu que les théâtres étaient les seuls lieux publics à proposer la triple sécurité du masque, de la distance physique et du contrôle de la jauge, nous avons entendu que nous étions les victimes collatérales du couvre-feu, qu’il ne fallait pas l’assouplir de peur d’en complexifier la compréhension. Nous ne pouvons donc que constater que nous sommes aujourd’hui fermés uniquement par symbole, celui d’être un lieu de rassemblement.

C’est vrai, nous ne sommes pas aptes à dire ce qu’il faut faire ou non pour gérer cette crise sanitaire. Nous ne sommes pas aptes à déterminer ce qui augmente les contaminations. Nous ne sommes pas aptes à déterminer les moyens de lutter contre la crise sanitaire.

Mais nous sommes aptes à demander à comprendre, nous sommes aptes à questionner, nous sommes aptes à nous sentir déconsidérés et discriminés. 

Nous sommes aptes à constater que ce ne sont pas avec des mesures « symboles » que nous viendrons à bout de l’épidémie. Le problème réside dans les lieux clos : les théâtres ont été reconnus offrant de nombreuses garanties sanitaires. Le problème réside dans le brassage des flux de population : les mesures de limitation ont été levées. Le problème réside dans les espaces où le port du masque est impossible : il est obligatoire dans les théâtres. Le problème réside dans les lieux où l’on peut toucher les articles, où l’on ne peut pas garder ses distances, où l’on chante, où l’on danse, où l’on se parle… tout cela ne se produit pas dans les théâtres. Alors pourquoi nous interdire d’ouvrir ? 

Nous sommes inquiets des choix de société que sous-tend cette stratégie. 

Nous avons entendu les réflexions, les inquiétudes et les projets de relance sur les conséquences de la fermeture des services publics, de l’école et des commerces ; nous n’avons rien entendu sur la culture. Nous avons vu l’État redoubler d’inventivité pour protéger les transports, les chantiers, la consommation, la chasse, nous n’avons rien vu pour la culture. Cette absence de réflexion et de crainte nous inquiète car elle laisse apparaitre qu’un monde sans culture n’est pas un drame, même pas un risque. 

Alors nous n’acceptons pas. 

Nous n’acceptons pas que ce monde, où nous croyons à la force de la culture pour nous unir, nous comprendre, nous faire-vivre ensemble, n’existe plus. Nous n’acceptons pas que les choix de société placent la consommation avant la rencontre, avant l’accomplissement de soi, avant l’élévation intellectuelle. Nous n’acceptons pas qu’un monde sans culture puisse être un risque envisageable, une réalité tolérable. 

Il n’est plus question de se classer en essentiel ou non-essentiel, il s’agit désormais de clamer que nous existons, que ce que nous faisons a un sens. Si la culture existe depuis toujours, si elle a été violentée ou tuée par les régimes autoritaires, si elle a fondé et survécu aux plus grandes civilisations, c’est que la culture a un sens et que nous avons besoin d’elle.

Il s’agit d’ouvrir un débat pour ce monde auquel nous croyons. 

Alors aujourd’hui, nous demandons ce débat. Nous rejoignons les artistes et ceux qui les accompagnent dans le cadre du recours en référé-liberté contre la fermeture des Théâtres. Nous demandons des explications sur les mesures qui nous sont imposées, nous demandons à être regardés et entendus. Nous demandons qu’il soit rappelé que la Culture est un bien fondamental, qu’elle est nécessaire à notre société, et qu’elle ne peut être traitée comme cela a été le cas jusqu’à présent, un peu trop rapidement sur un coin de table.

Cher public, 
vous qui croyez en nous et en cette force incroyable de la culture, vous qui aimez rire et pleurer, sortir heureux ou en colère des spectacles, vous qui aimez nos rencontres, nos échanges, nos liens, nous vous invitons à soutenir l’idée qu’un monde sans culture n’est pas acceptable.
Rejoignez-nous mardi 15 décembre à 12h, Place de la BastilleSi vous le souhaitez, vous pouvez également signer cet appel : Recours commun devant le Conseil d’État 
Mathieu Touzé & Edouard Chapot, directeurs du Théâtre 14
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