Eric Ruf donne un nouveau souffle à l’oeuvre de Bertolt Brecht : « La vie de Galilée ». Dans de gigantesques décors, la vie d’un scientifique se dessine à l’ombre des biens pensants. Un voyage temporel qui interroge notre vision du monde et de la société.
Les années d’exil de Bertolt Brecht avec son épouse et comédienne, Hélène Weigel furent fécondes. Il écrit « La vie de Galilée », « Mère courage et ses enfants », « La résistible ascension d’Aturo Ui ». On peut y voir une volonté d’inscrire son nom dans l’Histoire. Ces oeuvres précédentes ont été brûlées lors de l’autodafé du 10 mai 1933 sous l’Allemagne nazi. Plus tard, le maccarthysme l’incite à quitter les Etats-Unis. Ils retournent en RDA où il tente de monter sa pièce « La vie de Galilée ». Toutefois la mort le cueillera dans cette démarche le 14 août 1956.
Près de trente ans après la dernière mise en scène à la Comédie-Française, Éric Ruf s’empare de cette pièce pour lui insuffler une nouvelle dynamique. Galilée, astronome, physicien, mathématicien du 18ème siècle possède une curiosité sans borne pour la science. Elle le pousse sans cesse vers des interrogations. La censure se fait entendre mais il veut garder coûte que coûte garder sa liberté pour poursuivre son travail. C’est sans scrupule qu’il s’appropriera la lunette d’approche venue d’Hollande pour en faire une lunette astronomique. Une création qui lui apporte le succès, reconnaissance et argent. Du moins, pour un temps. L’usage change et les découvertes qui en résultent peuvent changer le monde. Côme de Médicis, à la cour de Florence s’intéresse de prêt à ce découvreur. Galilée voit l’occasion parfaite pour présenter ces théories. La lune ne possède pas de lumière propre, elle est éclairée par le soleil comme la terre. Mais celle qui bouscule repose sur la terre qui tourne autour de l’astre solaire. D’autres chercheurs émettent la même hypothèse en Europe. Ce n’est pas suffisant pour en faire une vérité. Pour mémoire, c’était il y a un dizaine d’année que le philosophe Giordano Bruno a été brûlé à Rome pour avoir soutenu l’idée d’un univers infini et sans centre, sur la base des travaux de Copernic.
Les biens-pensants rôdent et sont de plus en plus influents. On crie de plus en plus ici et là au blasphème. L’homme doit être au centre de l’univers. Rien ne peut remettre en cause le dogme. Des années plus tard, l’homme et ses théories sont victimes de l’Inquisition. Un choix doit être fait : mourir torturé ou renier ce qu’il a écrit? Il choisit la deuxième solution au grand désarroi de ces connaissances. C’est cloitré, coupé du monde qu’il finira avec une vue qui baisse de plus en plus. En cachette, il écrira les Discori, qui pourront être publiés en Europe.
Pour interpréter un tel homme et donner sens à une histoire si intense, il faut un comédien talentueux et investi. L’extraordinaire Hervé Pierre devient Galilée. Une force de caractère à la voix singulière qui nous prend au coeur. Il fait vibrer l’homme aussi bien dans son enthousiasme vis-à-vis de ces découvertes que ces doutes incessants. Un tel homme n’est pas seul en scène et par chance, le français est un théâtre de troupe. Certaines scènes se font avec une vingtaine de comédiens et aucun n’a de rôle superflu. L’effet de masse ébloui surtout grâce aux sublimes costumes de Christian Lacroix. Ils vont à merveille avec les imposants décors composés de 10 toiles qui font des centaines de mètres carrés. Images de la pieta, d’imposition, de crucifixion prises dans les peintures de Fra Angelica, Caravage, Raphaël… nous plonge dans l’Italie où les religieux contrôlent tout. Tout nous embarque au plus proche d’une histoire incroyable où la science à tout de même triompher sur le dogme.
Un spectacle enrichissant qui nous incite toujours à douter pour mieux comprendre le monde qui nous entoure.
Où voir le spectacle?
Comédie Française
Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris