Anton Tchekhov peint avec précision un portrait réaliste et cruel de la société russe dans sa première œuvre, Ivanov. Christian Benedetti décide de s’emparer de ce texte pour lui donner une nouvelle vie. Une histoire poignante d’un homme simple dans un monde en effervescence qui ne peut que mal finir.

Jouer tout Tchekhov, voilà le défi que s’est lancé Christian Benedetti. Pour l’avant-dernière étape de ce compagnonnage initié en 2011, il présente la première œuvre du répertoire du jeune auteur alors âgé de 27 ans. Son choix se portera sur la version initiale écrite en 1887 et retraduite pour l’occasion. Une seconde version est écrite en 1889 afin d’être plus complaisante avec la société russe de l’époque et à sa demande. Nous découvrons alors sur scène cet Ivanov, triste, lasse face à une société toujours en ébullition, obsédée par l’argent.

Nicolaï Alexéiévitch Ivanov (Vincent Ozanon) dans la première scène lit tranquillement. Le calme a été de courte de durée car à partir de ce moment, sa vie va tomber dans un tourment perpétuel. Mikhaïl Mikhaïlovitch Borkine (Christian Benedetti), un parent éloigné qui gère le domaine d’Ivanov, vient lui réclamer de l’argent et lui proposer des projets malhonnêtes  pour s’enrichir. Puis c’est au tour du comte désargenté, Matvéï Sémionovitch Chabelski (Philippe Lebas) d’intervenir et de se plaindre de sa triste situation. Le médecin, Levguéni Constantinovitch Lvov (Yuriy Zavalnyouk) vient le supplier de faire partir sa femme, Anna Petrovna (Laure Wolf), en Crimée afin de soigner sa tuberculose. Il n’a pas l’argent nécessaire et même si c’était le cas, elle refuse de partir seule. Sa dette s’élève de 9 000 roubles auprès de Zinaïda Savvichna (Brigitte Barilley). En plus, l’amour qu’il portait à son épouse, qui a renoncé à sa foi, à ces parents pour lui, est parti. En lui, une grande solitude raisonne.

Ivanov assiste à une réception chez les Lébédev pour l’anniversaire de la jeune et belle Sacha (Alix Riemer). On y rencontre également une riche veuve joyeuse septique, Marfa légorovna Babakina (Lise Quet) qui « grâce » à l’entremise de la marieuse, Avdotia Nazarovna (Martine Vandeville) a enfin trouver un nouvel époux. Il ne faut pas oublier les écornifleurs, joueurs et serveurs, Dimitri Nikititch Kossykh (Nicolas Buchoux), Doudkine (Antoine Amblard) et légorouchka, Piotr et Gravila (Alex Mesnil). Lors de la soirée, Sacha déclare sa flamme à Ivanov. Que faire de cet amour si vif, si passionné ? Il va l’accepter et conclure un pacte d’amour par un baiser. Par malchance, Anna voit cette scène. Un moment qui la pousse encore plus vite vers sa tombe. Son décès un an plus tard est l’occasion qui permet à Ivanov d’épouser Sacha. Son père, l’ami d’Ivanov, Pavel Kirillytch Lébédev (Philippe Crubézy) va les aider financièrement pour éponger leurs dettes afin qu’ils commencent leur vie sous de bons augures. Mais voilà que débarque le médecin d’Anna, fou de rage et de douleur il dénonce la fourberie du jeune marié. Epuiser de temps d’effort, Ivanov ne pourra survivre à ce dernier affront de la vie.

 « Ivanov est et sera ce que chacun veut qu’il soit », écrit Christian Benedetti. « Il est comme une toile sur laquelle chacun projette ses rêves ou ses fantasmes. Un portrait en forme d’énigme : mélancolie, spleen, déprime, cafard, bourdon, tristesse, angoisse …» Il suit le fil rouge de l’humanité dans sa pièce avec la colère, la tristesse, la folie et la passion des Hommes. Chaque personnage ne déborde jamais dans l’affect, les émotions faciles ou la psychologie de bas étages. Il les montre comme ils sont : obsédé par l’argent, le pouvoir et peut sans culpabilité médire sur ceux qui refuse de rentrer dans le même cercle. Tout n’est qu’hypocrisie, tromperie, faux semblant, manigances et compagnie. Ivanov, qui a déjà un nom classique que l’on pourrait traduire par Nicolas Dupont n’a rien de spécial. Il n’est pas intéressé par l’argent, par la réussite social et veut être toujours honnête. Jamais il ne ment. Alors pour ça, chacun y va de sa petite histoire pour l’abaisser, l’humilier mais jamais en face. Anton Tchekhov en profite pour montrer également la complaisance en société de se moquer des juifs. Sans interdit, il dénonce les travers.  

L’auteur présente la pièce comme étant une comédie. D’ailleurs cela se remarque par le rythme  rapide de diction précise des comédiens, permettant des collisions en contre point du rire. « On joue à la vitesse où l’on pense » précisera le metteur en scène. Tchekhov s’est inspiré des textes de Gogol qui s’est lui-même inspiré des vaudevilles français. Mais ne vous attendez tout de même pas à des portes qui claques et des amants cachés sous la table. Christian Benedetti respecte toutes les précisions écrites comme ces pauses dans les échanges. Tchekhov incite ainsi le spectateur à réfléchir à ce qui est dit. Même si c’est un peu déroutant au début, on comprend cette démarche très adroite au finale. Il joue avec malice avec le temps réel et le temps dramaturgique. Un temps qui a un sens tout particulier puisque juste Ivanov vit le moment présent. Les autres évoquent le passé ou le futur car le présent leur est insurmontable. Et cela se trouve souligner par la mise en scène et la scénographie dans un décor intemporel à géométrie variable, judicieusement manipulé par les comédiens sur scène. Ces 13 artistes qui jouent à la perfection et donne vie à tous ces personnages avec les nuances adéquates. Un magnifique travail d’équipe qui arrive à captiver les spectateurs pendant presque 2h00. Un grand bravo pour cette performance.

 Ivanov est une comédie avec des cœurs brisées au sein d’une société paradoxale qui se cherche. Ne passez pas à côté de cette adaptation tout en finesse de Christian Benedetti avec ces talentueux comparses.

Athénée – Théâtre Louis Jouvet 
7 rue Boudreau
75009 Paris

jusqu’au 1 décembre

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