La compagnie de la jeunesse aimable prend possession du théâtre de Suresnes Jean Vilar. Cyrano de Bergerac revêt un nouveau visage pour nous faire apprécier le goût du rêve, de la poésie et du théâtre.
Après deux et demi de travail, le projet de Lazare Herson Macarel devient une réalité. Cinq semaines de travail acharné pour donner naissance à un Cyrano unique. De la salle de répétition à la grande scène, les artistes trouvent leur place dans les décors et les costumes qui prennent forme. Cet éloquent épéiste, philosophe et amoureux va renaître dans une mise en scène épatante.
Quand le rêve devient réalité
Le metteur en scène, Lazare Herson-Macarel, a toujours rêvé de monter Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. Et lorsqu’il le ferait, cela sera Eddie Chignara qui tiendra le rôle-titre. Quelques années passent, quelques spectacles se suivent et le rêve se transforme en un spectacle concret. Jamais cette pièce n’a arrêté les créations que cela soit au théâtre ou au cinéma, que cela soit en France ou à l’étranger tant que l’imagination est au rendez-vous. Il ne faut pas trop regarder les mises en scène précédentes pour créer, car il faut innover en donnant un nouveau visage.
Un défi de taille que relève à merveille Lazare Herson-Macarel. Très vite, il impose son style pour emmener le spectateur vers un univers particulier. Dès que la lumière s’éteint, les comédiens arrivent de part et d’autre de la salle. Le quatrième mur qui sépare le public de la scène s’écroule. Le spectateur n’est plus un simple regardant, il fait parti intégrante du spectacle. D’ailleurs, les comédiens feront de nouveaux quelques voyages dans le public comme lors de la représentation de Montfleury. Un lien imperceptible se crée alors entre eux et nous.
Une mise en scène haute en imagination
La Comédie Française avait misé sur une mise en scène classique. Lazare Herson-Macarel lui choisit une mise en scène très minimaliste et ô combien ingénieuse. Quelques tables, quelques marches en bois, deux grandes structures amovibles avec structure apparente et cela suffit à créer les décors pour les 5 actes. Tout se glisse, se portent, se déplacent. La table devient estrade, les marches deviennent des bancs… Rien ne se perd, tout se transforme. On ne vous cache rien. D’ailleurs, en fond de scène, on voit les portants avec les costumes et les comédiens se changent devant nous. Très vite, notre regard ne fait plus attention. Il se porte sur le devant de la scène, sur l’histoire.
Les comédiens déplacent le tout avec simplicité et naturel. Tout s’assemble avec une logique imparable. Deux surfaces hautes glissent sur la scène et les tables se chargent de gourmandise. C’est très malin et on a une impression de magie. Des tableaux se font certains plus étonnants que d’autres. Comme cette magnifique scène à la fin de l’acte 4 où les gascons vont se faire réduire en charpie. Une lumière crée doucement une ambiance assez sombre, une fumée sort du fond de scène, les comédiens font face au loin et réalisent un hakka. La pression monte doucement, rappelé par le rythme de la batterie. Puis les murs s’effondrent. C’est magnifique et le public se prend au jeu. Un beau moment de théâtre qui mérite quelques applaudissements.
Des comédiens à la hauteur d’un texte somptueux
La performance pouvait sembler hésitante encore à la répétition publique. Mais le jour de la représentation, tout a changé, jusqu’à l’intonation de certaines répliques. La surprise est totale. Que de changements réalisés en 15 jours ! Le metteur en scène y est pour quelque chose, toutefois il n’est pas seul. Nous avons la prestance de Cyrano. On connaissant Michel Vuillermoz ou Philippe Torreton dans le rôle-titre de Cyrano. On pourra rajouter celui d’Eddie Chignara comme comédien sachant s’approprier le personnage. N’oublions pas qu’Edmond Rostand avait créé cette pièce pour le comédien Coquelin, qui trouvait qu’il n’avait jamais assez de répliques sur scène. Le personnage est presque présent tout le temps sur les 2h30 de spectacle. Une prestation qui demande beaucoup de ressource et une bonne mémoire.
Le metteur en scène a fait le choix de ne pas valoriser Cyrano au dépend des autres. Cyrano n’est pas le héros malheureux, ils sont tous des héros. Ici pas de personnage fade ou de seconde zone. Harrison Arevalo apporte sa touche de charme au marquis, à Valvert, au capucin, au cadet et même à la sœur. Julien Campani donne du volume à cet horrible Comte de Guiche, tout comme à Lignière, à un pâtissier et à un poète. Philippe Canales apporte le charme et charisme à Le Bret, tout comme au pâtissier et au poète. Céline Chéenne affirme sa force de caractère avec les personnages d’un marquis, de La Duègne, de Mère Marguerite et surtout dans celui du Capitaine Carbon de Castel-Jaloux. Joseph Fourez donne de la consistance à ce fameux Christian ainsi qu’à un page, au pâtissier et à un poète. David Guez donne avec douceur la bonté à Ragueneau et de la couardise à Montfleury. Morgane Nairaud donne de la force et du dynamisme à l’amoureuse, Roxane ainsi qu’à un page et à un cadet. Et Gaëlle Voukissa qui apporte sa bienveillance à la distributrice, à Lise, à un cadet et une sœur. Les femmes jouent des rôles d’hommes. Rappelons qu’il y a 80 personnages dans la pièce. C’est un spectacle de troupe alors chacun prend sa place là où l’on a besoin de lui. Même les deux techniciens plateaux seront sollicités.
Entre les mots raisonnent la musique et la lumière
Edmond Rostand n’avait pas prévu de partition musicale à son spectacle. Mais pourquoi devoir s’interdire d’en créer une? Deux instruments vont alors prendre place et d’ailleurs, c’est sur eux que la lumière sera projetée au début de la pièce. D’un côté, on rencontre Pierre-Louis Jozan à la batterie, qui prendra même des petits rôles avec un tire-laine, un cadet et une sœur. Puis de l’autre, on découvre Salomé Gasselin à la viole de gambe qui interprétera aussi un cadet et une sœur. L’idée pourrait surprendre, cependant le résultat est au rendez-vous. Les instruments accompagnent, soulignent, intensifient le texte magnifique interprété. La musique prend toute sa place et devient un personnage à part entière. Jamais les instruments n’étouffent le texte. Ils sont là pour être avec les comédiens et les escorter pour faire rêver le spectateur.
Les lumières de Jérémie Papin assisté de Léa Maris sont un élément indispensable de toute la pièce. Toujours au bon endroit pour souligner là où l’on doit regarder. Les ambiances sont créées avec beaucoup de discrétion et d’ingéniosité. Qui s’accompagne aussi d’un autre travail intelligemment réalisés : les costumes. Les costumes sont un mélange hétéroclyte de matière, de couleurs, de style… En effet, la pièce est censée se dérouler au 17ème, alors qu’elle a été écrite au 19ème et qu’elle se joue au 21ème. Alors n’est-il pas normal de trouver le mélange de tout cela? Cyrano porte une veste en cuir longue avec un pantalon en jean troué et un à sweat à capuche. Christian porte une veste en cuir avec des fermetures éclairs et des dentelles. Plus on attarde notre regard, plus on découvre les détails et la richesse de la créativité d’Alice Duchange, assistée de Selma Delabrière.
Et Cyrano dans tout cela?
Cyrano possède bien des vertus auxquelles bien des Hommes peuvent ou aimeraient s’identifier : bon camarade, noble de cœur, courageux, bon vivant, insolent, fidèle, drôle, brave… On s’attache à lui et il nous touche dans son désespoir. Cet homme est amoureux de sa cousine, Roxanne. Elle, elle n’a d’yeux que pour Christian, qui est beau. L’un est laid et éloquent et l’autre est beau et pas très loquace. Cyrano va mettre la beauté ces mots au service de la passion.
Ce drame romantique en 5 actes et en vers, mélange les ingrédients des bonnes histoires de cape et d’épée et d’amour. L’envie d’être aimé pour soi, le respect des autres, la fraternité sont des messages universels qui rendent ce spectacle éternel. Depuis sa création en 1897, jamais les mots de Cyrano n’ont cessé de raisonner. La tirade du nez, de l’affrontement avec de Guiche, la scène sous le balcon… ont encore de beaux jours devant eux.
C’est dans une mise en scène enchanteresse que le texte inaltérable raisonne au plus profond du cœur de chaque spectateur. Et vous aussi, lorsque vous partirez du théâtre, vous sortirez avec panache.