C’est au 104, en janvier dernier, que la Comédie-Française a décidé de présenter son nouveau spectacle L’Autre. Un projet un peu singulier, puisque c’est un spectacle de danse qui nous est interprété par cinq comédiens. Un décloisonnement qui permet de révéler au public l’éventail des talents et les qualités d’interprétation qui ont plus d’une ressource en poche.
En 2010, la Comédie-Française accueillait Claire Richard pour la création d’un spectacle chorégraphique nommé Signature autour du chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui. C’est avec Françoise Gillard qu’elles vont mettre en création une nouvelle aventure dansée avec cinq comédiens vêtus de noir : deux femmes (Françoise Gillard et Claire de la Rüe du Can et trois hommes (Elliot Jenicot, Benjamin Jungers et Christophe Montenez) sur les planches du Vieux-Colombier. Les comédiens vont devoir alors travailler leur rapport au corps et aux déplacements sur un thème particulier : l’Autre. Le tout dans un décor de Gilles Taschet, très sobre tout en blanc avec juste un piano et quelques panneaux mobiles, tout en souplesse, où des projections se font accompagner de musique, de silence et de témoignage.
En effet, qui est cet autre à la fois complémentaire, idéal et imaginaire. Qui est-il ? Comment est-il ? Ami ? Ennemi ? Amant ? Jumeau ? Un autre nous ? Une autre partie de nous ? Pour réfléchir à cela un ensemble de danses en solo, duo ou groupes vont se succéder. Il est évident que ce ne sont pas des danseurs nés mais sous leurs muscles saillants une volonté et une passion émanent d’eux d’une façon incroyable. Ce n’est pas l’exactitude dans les gestes mais cette force qui se dégage qui m’émerveille. Les corps se frôlent, se touchent, se complètent, se surpassent…. Les regards intenses que jette Claire de la Rüe du Can, de ce bleu si profond me touche d’autant plus lorsqu’en duo avec Christophe Montenez, les corps se mélangent avec une douce sensualité tout comme de la violence.
Les comédiens nous regardent, nous, spectateurs de leur regard où brûle la flamme de la passion et de la concentration. Je suis subjuguée et n’arrive pas à quitter la scène des yeux même quand les silences se font pesants. Très jolie moment, quand les comédiens s’assoient au bord de la scène, regard sur le public et interprètent en langue des signes Voyage, Voyage de Desireless, modifié par Soap & Skin et surtout, magnifiquement interprété par le talentueux Benjamin Jungers. Au final, beaucoup de jolies moments se succèdent ou s’entrecoupe car chaque corps dégage une histoire, une sensualité ou brutalité propre que cela soit le génialissime Elliot Jenicot ou la danseuse Françoise Gillard. La grande maîtrise du jeu théâtrale se ressent beaucoup dans la danse et c’est cela qui permet d’en faire un spectacle surprenant et touchant à la fois.
Car la danse à la Comédie-Française, même si peu présente de nos jours dans les spectacles étaient plus prégnantes auparavant. Molière en intégra dans ces pièces et c’est même Louis XIV lui-même qui se mettait en scène dans Le Mariage forcé,Le Sicilien et Les Amants magnifiques. Dès 1662, il crée l’Académie royale de danse dirigée par Pierre Beauchamp, maître à danser du Roi et chorégraphe des comédies-ballets de Molière. Mais un conflit avec Lully va restreindre la pratique, limite interdite. La Comédie-Française va devoir payer des amendes à l’Académie royale de danse. De 1754 à 1799, on trouve le corps de ballet de la Comédie-Française. Au 19ème, les relations pacifiques entre le français et l’Opéra permet de redonner un éclat aux comédies-ballets de Molière qui sont presque oubliées de nos jours et surtout passées de mode.
L’autre est un moyen pour la Comédie-Française de renouer avec la tradition de la présence de la danse dans les classiques. Les comédiens investis, du pied à la tête, se donnent complétement au spectacle subjuguant les spectateurs même les plus réticents à la nouveauté. Impossible de ne pas être touché par la fureur de vivre et la rage de vouloir tout donner en voyant cette flamme dans leur regard et le feu de leur corps. Le théâtre de la Ville a intérêt à bien se tenir car la concurrence est là.
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