La langue des signes fait son entrée à la Comédie Française avec la pièce de Mark Medoff : Les Enfants du silence. Une histoire touchante d’amour et d’amitié qui interroge sur le rapport entre la langue orale et la langue des signes. Etonnante et touchante, l’histoire ne pourra vous laisser indemne.
Les Enfants du silence est un véritable plaidoyer à la tolérance et à la langue des sourds. L’histoire est connue dans le monde grâce au film oscarisé de Randa Haines en 1986 qui s’est inspiré de la pièce Children of Lesser God de Mark Medoff jouée en 1980. Elle va être adaptée en français au théâtre ce qui va permettre à Emmanuelle Laborit de recevoir le Molière de la révélation théâtrale pour le rôle de Sarah.
Sarah Norman (Françoise Gillard), travaille au sein d’une école pour sourds et malentendants où sa mère l’a placé très jeune. Elle se refuse à apprendre à lire sur les lèvres et à parler. Elle refuse le principe d’une langue normative à laquelle les sourds devraient se soumettre alors qu’ils possèdent déjà leur propre langage. Elle tombe sous le charme du nouvel orthophoniste, Jacques Leeds (Laurent Natrella), lui entendant, et vont jusqu’à ce marier. L’équilibre dans le couple n’est pas facile à trouver et va se fracasser sur le mur de l’incompréhension. L’amour parfois ne suffit pas.
La pièce est en bilingue, langue parlée et langue des signes. Toutes les parties signées sont traduites en langue parlé (et pas l’inverse) car cela reste un spectacle pour entendant afin qu’ils puissent mieux le monde des sourds. La Comédie Française a décidé de ne pas faire appel à des comédiens sourds ou malentendants pour jouer. Les comédiens du français ont du apprendre ou perfectionner leur langue des signes pour interpréter leurs personnages à perfection pendant presque un an. Cela va du langage signé au son très particulier que produisent les sourds et malentendants lorsqu’ils parlent. Un travail épatant qui ne tombe jamais dans la moquerie ou l’excès.
Pour servir cette histoire très touchante, une esthétique pure est utilisée. 8 décors avec 14 changements. Pas d’excès de meubles, d’objet, de couleurs. Tout est là pour servir l’histoire et les excellent comédiens. On rencontre l’extraordinaire Elliot Jenicot dans la peau de l’ami de Sarah, Denis, qui est professeur, il a appris à parler et lire sur les lèvres. Le comédien m’avait déjà charmé dans sa prestation dansante dans L’Autre. Anna Cervinka, qui interprète une élève, Lydia, qui est tombée sous le charme de l’orthophoniste lit sur les lèvres et parle. Puis nous avons le directeur de l’institut, M. Franklin (Alain Lenglet) fervent défenseur de l’oralité des sourds, comprend et parle la langue des signes mais ne veut pas l’utiliser. L’avocat, M. Klein (Nicolas Lormeau) qui veut défendre les sourds ne comprend aucun mot mais à juste appris : comment ça va? je vais bien. Et enfin, le dernier personnage, peu présent mais qui a tout son sens dans l’histoire, la mère de Sarah, Mme Norman (Catherine Salviat) qui apprend à se rapprocher de sa fille et à l’aimer tout entière.
Des personnages bien différents qui ont chacun un rapport particulier à la langue des signes et la langue parlée qui donne un dynamisme incroyable à la pièce. Une fabuleuse mise en scène très ingénieuse, des jeux de lumière très adaptés et des comédiens extraordinaires, cela ne peut que donner un sublime spectacle. La Comédie Française ne s’interdit rien pour montrer aussi bien l’étendu du talent de leurs comédiens que les multiples possibilités du théâtre même si ici, les spectateurs sont un peu frileux puisque ce n’est pas complet tout les soirs contrairement à du Feydeau. Alors que cela le devrait, car l’histoire est touchante, rempli d’émotions et on ne sort pas indemne d’un tel spectacle. Les larmes n’étaient pas loin de tomber tellement que cela m’a émue.
Il ne faut pas oublier que la langue des signes française est la deuxième langue officiel de la France depuis 2005 (seulement). En France, c’est au 18ème siècle que l’abbé de l’Epée met en place une langue des signes. Mais un courant oraliste à partir de 1880 veut interdire l’apprentissage de cette langue et les inciter à apprendre la langue parlée. Les raisons invoquées seraient que cela empêcherait de communiquer avec Dieu, que cela favoriserait des troubles respiratoires… Il fallu un siècle pour que de nouveau l’enseignement et la reconnaissance puissent se faire. L’auteur, metteur en scène entendant Jean Gremion et l’artiste américain sourd Alfredo Corrado, créent en 1976 l’International Visual Theater (IVT) qui proposent et soutien des spectacles bilingue. C’est Emmanuel Laborit qui en est la directrice de nos jour.
Un spectacle épatant qu’une fois encore la Comédie Française propose. Alors dépassez les aprioris et ouvrez votre coeur à la surprise. Maintenant, il ne vous reste plus qu’à vous dirigez vers le théâtre du Vieux-Colombier.
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