Il est difficile de résister à l’appel de la nature. Pourtant, pour soutenir une amie, Werner Herzog décide un jour de parcourir 900 km à pied afin d’être à ses côtés. Cinquante ans plus tard, Bruno Geslin, Clément Bertani et Guilhem Logerot s’engagent dans ses pas pour se rapprocher au mieux de cet homme fascinant et de son cheminement intérieur.

Dès l’entrée dans la salle, une douce odeur d’huile essentielle enveloppe le public. Une invitation délicate à s’immerger dans un monde parallèle, au cœur d’une aventure à la fois dense et captivante. Progressivement, une ambiance singulière se déploie. Les artistes prennent place et bientôt, une voix résonne. Elle livre des extraits du journal de bord de Werner Herzog, un texte intime, initialement non destiné à être lu par tous. Pourtant, sa fièvre pour l’expédition s’y transmet puissamment, même lorsqu’il confie : « Les gens me font peur. ».  Le voyage de cet inégalable maître du cinéma n’a rien d’ordinaire. Le 23 novembre 1974, Herzog entreprend de se rendre à pied jusqu’à Paris pour rejoindre Lotte Eisner, historienne du cinéma allemand, amie chère à son cœur.

Sur le chemin des glaces de Werner Herzog © Sandy Korzekwa © Sandy Korzekwa

Marchant en moyenne 50 kilomètres par jour, il quitte Munich, suit le Lech et traverse la Forêt-Noire. « Je me mis en route pour Paris par le plus court chemin, avec la certitude qu’elle vivrait si j’allais à elle à pied. ». Le chemin est ardu, parsemé d’intempéries brutales : pluies diluviennes, vents hurlants à 130 km/h, froid glacial… Ses bottes trop neuves lui meurtrissent les pieds, ses vêtements s’imprègnent de sueur et son sac, frottant sans relâche contre son dos, finit par déchirer ses habits. Chaque pas devient un effort surhumain. Herzog doit redoubler de vigilance pour trouver refuge dans des cabanes abandonnées, des granges ou des bâtiments en ruine.

À travers cette épreuve, un nouvel homme émerge. Le marcheur plonge en lui-même, transformé par une rage qui le pousse à avancer malgré les douleurs qui envahissent son corps. Bruno Geslin retrace cette marche solitaire, entreprise par amour, en l’incarnant sur scène avec Clément Bertani et Guilhem Logerot. Les projections vidéo de leur propre expédition enrichissent la représentation, mais ne se limitent pas à une simple illustration. Ils nous plongent dans une immersion hypnotique. Par leur travail scénique, ils nous font ressentir les tensions, la peur, le doute, les bouleversements intérieurs profonds et surtout cette volonté de fer qui caractérise Herzog. Par moments, il semble même que des fantômes surgissent çà et là, en filigrane.

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© Sandy Korzekwa

La mise en scène est pensée comme un plan-séquence en travelling constant autour du corps de l’acteur. Le trio joue avec le dérèglement du réel avec une musique live saisissante, des chants portés par une voix cristalline, des costumes sobres mais efficaces. La lumière et le son occupent une place primordiale. Les compositions électroniques captivantes se mêlent au bruissement des feuilles. Les voiles gris argentés ajoutent une touche de mystère. Lorsqu’ils tombent, ils révèlent une expérience scénique atypique. Chaque élément est d’une cohérence stupéfiante, renforçant l’immersion du spectateur. Ce choix s’étend même à la configuration du public, placé uniquement en frontal, pour que chacun reste pleinement engagé dans ce périple extraordinaire.Difficile de ne pas être émerveillé durant toute la représentation : tout nous maintient dans le registre du sensible et du merveilleux.

Un voyage mystique et bouleversant qui illustre la force incommensurable de la nature face à la détermination sans faille de l’homme.

 

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