Le théâtre de l’Atelier rouvre ces portes avec une lecture. Simplement, sobrement sur scène un homme : Sami Frey qui raconte un entretien. Etes-vous prêt à faire un bon dans le temps pour écouter un témoignage lié à la Shoah ?

Du haut de ces 83 ans, Sami Frey revient sur scène. Ce comédien ne vient pas incarner un personnage comme il l’a fait tout au long de sa carrière. Il vient plutôt prêter sa voix à un entretien qu’eût Claude Lanzmann avec Maurice Rossel en 1979 pour le tournage de son film « Shoah ». L’échange n’a pas pu servir au film à l’époque mais les propos échangés restent intemporels. C’est ainsi qu’en 2021, le regard de cet homme s’expose au jugement des citoyens. L’helvète délégué à Berlin du Comité international de la Croix-Rouge pendant la Seconde Guerre mondiale est au cœur de l’Histoire. Un heureux hasard lui permit de se rendre à Auschwitz en 1943 où il rencontre le responsable du camp. Le motif de sa visite est simple : proposer du matériel pour l’infirmerie. Sans grande surprise, l’autorité allemande refuse et l’homme est reconduit à la sortie. Très peu de gens ont pu aller dans ce camp et en sortir pour donner des informations. Lui n’a rien vu, rien n’entendu, ni senti de choses suspectes.

En juin 1944, il inspecte le « ghetto modèle » de Theresienstadt où la visite d’étranger avait été très bien mis en scène. Même si les observateurs ne sont guère dupes qu’écrire dans leur rapport. Il semble à Maurice Rossel, bien que les juifs portent un costume rayé, qu’ils se portent bien et que cela doit être lié à leur statut social privilégié. Contre de l’argent placé, ils ont une vie plus confortable. Des années plus tard, cette idée lui reste encore en tête et doute encore de sa non vraisemblance. Le fait que ces hommes ont été tués la semaine suivante ne l’émeut que moyennement. Quel regard porter de nos jours sur ce témoignage ? A-t-il refusé de voir ? Trouvait-il ce massacre en adéquation avec sa pensée ? A force de vivre en voyant l’horreur, est-elle devenue banale, ordinaire ? La propagande quotidienne ne modifie-t-elle pas l’Homme, même neutre, en rendant vrai le discours haineux ? La maigreur cadavérique de ces êtres est-elle trop quelconque pour laisser insensible ? Pourquoi insister sur ce mot d’israélite et non de juif ? Pourquoi ne pas parler de ces autres personnes qui composaient les camps comme les homosexuels, les roms, les artistes… ? Ont-ils moins de valeur ?

Cette déclaration d’une heure ne laisse pas le spectateur totalement indemne. Ne montrent-elles pas une vérité dérangeante sur la nature humaine ? Combien de personnes ont choisi d’entrer en résistance par rapport à ceux qui ont collaboré ? Se voiler la face pour mieux accepter la situation, sa capacité à agir ou non n’est pas un réflexe des plus naturels ? Surement et c’est là que vient l’importance d’entendre ces mots pour inciter à se poser des questions sur soi, son courage, sa valeur, son éthique, son entourage, sa famille…  Et pour ça, Sami Frey n’avait pas besoin de mettre beaucoup d’entrain, de force, d’énergie dans sa déclamation. Il reste simple, humble, habillé sobrement. Nul besoin de décors à part une table, ancienne machine à coudre modifiée, une tasse de café et une tablette. Le bruit des trains cesse lors qu’il parle doucement pour mieux être écouté et entendu. L’homme se distancie du texte pour le mettre en valeur, car c’est cela l’essentiel.

L’Histoire montre les forces et les faiblesses des Hommes face à l’innommable.

Théâtre de l’Atelier
1 Place Charles Dullin
75018 Paris

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