Quand sonne le glas, il est temps de faire un bilan de sa vie. Le dictateur face à lui-même se remémore ces souvenirs glorieux. Aucun regret et aucune culpabilité ne l’habite et pourtant la déchéance est là. Quel lendemain possible pour lui ?

Tout débute avec cette scène. Un homme apparaît  la lumière plongée sur lui. D’un côté son corps est un squelette et de l’autre un homme au visage grimé en clown triste. La grande faucheuse fait partie intégrante de son être. Un jour, lui aussi devra lui rendre des comptes. L’homme retrouve son entièreté avec la lumière qui illumine le plateau. On s’interroge maintenant qu’on peut le regarder. Qui est-il vraiment ? Le titre du spectacle nous indique qu’il est un dictateur. Des extraits de discours d’Hitler, Mussolini… se font entendre. Peut-être est-il la mémoire de ceux qui ont échoué ? Les heures de gloire, il s’en rappelle très bien. Il les enregistre dans son dictaphone. Ces gens qui scandaient son nom en bas de sa fenêtre. Quelle délectation! Présentement, il n’en reste que le souvenir. Il vit dans un petit espace délabré avec des caisses en bois et un canapé. Tout tombe en ruine, comme ce tableau du dictateur qui choit sans arrêt.

Le despote est peu à peu entouré des spectres de son passé. On pourrait croire que les marionnettes ne sont que des bouts de bois articulés, mais elles sont plus que cela. Les mains du marionnettiste insufflent une force vitale à l’objet inanimé. Ainsi les fantômes du passé prennent vie. Ils deviennent une matière qui interroge les yeux aveugles face à la réalité cruelle du monde. Tout comme ce mannequin qui danse en compagnie du dictateur qui montre son visage sur lequel se concentre la lumière afin de mieux y montrer le sang qui le recouvre. Une teinte utilisée avec justesse qui montre le drame dont le nom n’est jamais évoqué. Ainsi ces petits corps décharnés, qui sont jetés sans regret à même le sol, formant un charnier humain. Les camps et les cadavres ne sont pas nommés mais notre imaginaire complète le non-dit. Les marionnettes ne deviennent plus les complices d’Alexandre Haslé. Ils sont des fantômes qui errent rapidement qui de leurs silences pleins d’éloquence nous parlent.

L’influence du travail d’Ilka Schönbein se sent dans ce travail d’Alexandre Haslé, elle qui l’a formé. Une œuvre avec un texte commandé à l’auteur australien Daniel Keene et qui a été retravaillé pour correspondre à l’univers de la manipulation. On se sent porter minute après minute par la folie d’un homme qui ne comprend pas l’échec. L’incroyable travail de son et lumière de Nicolas Dalban-Moreynas est à souligner. Les jeux de lumière finement ajustés avec la grande variété de musique guident nos émotions au plus proche du sensible. Par exemple cette scène avec une lampe tempête qui se balance au-dessus d’une caisse en bois où l’on aperçoit une tête. Un bruit lointain de train se fait entendre. Cela suffit à nous faire comprendre que l’homme vient de monter dans un train pour un camp dont il ne reviendra jamais. Le lien entre tout cela est la performance d’Alexandre Haslé qui incarne son personnage. On le sent présent sur scène, à chaque instant, animé par le plaisir de jouer. Et une fois que le spectacle se termine, il redevient un homme ordinaire, un artiste timide qui a donné sa force le temps d’une représentation.

Un terrible requiem pour un dictateur tombé dans la folie. La dérision devient son compagnon qui va l’aider à souffler sa dernière bougie avant de clôturer l’histoire de sa vie.

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