« Le travail c’est la santé » comme le chantait Henri Salvador. La compagnie L’Avantage du doute, elle aussi s’intéresse sur le rapport au travail, comment il l’aliène l’homme, il modifie le rapport à son identité et à ces proches. Au final, n’est-ce pas les singes de Bornéo qui ont raison de garder le silence ?

Dans la salle se balade Simon. Un agent d’accueil à la retraite qui vend des gaufres dunkerquoises au rhum ambré, préparées par amour par sa femme. 1€ les deux gaufres. Certains spectateurs se sont laissés tenter. Avant le début du spectacle, il monte sur scène. Une occasion pour parler de la fameuse légende de Bornéo. A ce qui paraît, les singes à Bornéo savent parler. Mais ils préfèrent se taire car sinon les humains les feraient travailler. Une bonne transition pour parler d’un livre de recueil de poèmes « Feuilles d’herbe » Walt Whitman qui est en vente à 20€ à la sortie. Il ne peut pas trop en parler car il ne l’a pas lu. Une occasion pour laisser la place à une comédienne déjà sur le plateau pour présenter ce livre qui lui tient à cœur, « un remède contre le désespoir ». Une façon élégante de mettre le spectateur en bonne condition pour les saynètes ayant au cœur de réflexion le travail.

Photo Pierre Grosbois

Ainsi on rencontre un couple bourgeois formé par Mélanie Bestel et Nadir Legrand qui traitent leur problème de couple à la façon de réunion domestique. Ils prennent les points du QFQOQCP soit le Qui Fait Quoi Où Quand Comment Pourquoi. Le problème est de taille car les jeudis dans la nuit après les réunions stressantes, il prend sa femme, frappe son torse. Il lui sort : « Baisse ta culotte, c’est moi le pilote ». Le plus surprenant, c’est que Nadir n’en a aucun souvenir. Une façon de faire un clin d’œil au titre. Puis Claire Dumois prend la scène pour elle. Elle se transforme en une agent du Pôle Emploi. « On ne peut pas faire l’économie du Pôle Emploi ». Dans une énergie débordante, elle pète un câble. Son débit de parole s’accélère, elle court partout, passe sous la scène pour ressortir dans le public puis vient le moment de chaos. Elle souffre de « dyslexie corporelle ». Au début « tu prends sur toi et après tu prends plus rien ». Dans une gestuelle acrobatique, à l’apparence désordonnés mais très bien méprisée, la pression au travail et au résultat se fait ressentir. Le résultat est malheureusement ce qui se passe bien trop souvent dans les Pôles Emplois. Ce n’est pas un hasard si les employés de cette institution doivent tous partir au même moment.

Photo Pierre Grosbois

Un moment grave qui mérite bien une lecture d’un extrait de l’ouvrage de Walt Whitman. Simon Bakhouche revient pour parler du fait qu’il doit de nouveau travailler. Il a vu une vidéo sur internet pour faire de l’épilation. Des tests sur une femme sont nécessaires avant qu’il se lance dans l’aventure. Cependant le résultat le déçoit, lui c’est un homme de scéne avant tout. Retour à Judith Davis qui vient rendre visite à sa sœur jouée par Mélanie Bestel et son beau-frère Nadir. Elle n’aime pas travailler car « le monde me fait mal ». Sa sœur explique qu’elle est malheureuse actuellement car son mari se trouve toujours en déplacement. Une réplique cinglante de Judith fait frissonner la salle : « Il fallait épouser un prof ». Elle explique son nouveau projet de monter une compagnie qui n’aurait pas de chef. Les spectacles seraient montés d’un commun accord. Impossible lui dit-on. Nouveau point de désaccord qui amène une dispute. « On ne progresse que sous la contrainte ». Un point d’ancrage qui va permettre au mari de proposer une méthode d’optimisation pour faire de plus profit comme il fait dans son entreprise. Mais ce n’est pas ce qu’elle recherche. « Je ne travaille pas pour être riche. Je travaille pour être moi-même ». Toujours courir auprès de le gain de temps et d’argent. Une logique économique qui commence à le rendre fou. « Le travail c’est le principe de réalité ». Et parfois tout explose et on ne maîtrise plus rien. « Je ne tue pas des gens, je gère du cash. » Le travail doit-il perdre les gens et les mener à la dépression, au suicide ? Puis d’autres moments aussi ambivalents se suivent.

© Pierre Grosbois

Rire du tragique demande beaucoup de savoir faire. Car le public rit de bon cœur face au désarroi de l’agent Pôle Emploi tellement c’est grotesque ou face à la violence de ce chargé d’optimisation qui s’éloigne de la réalité du monde ou à une danse pour parler de théories de Walter Benjamin. La mise en scène permet de passer d’une histoire à l’autre avec facilité aidé par le talent de Simon qui reste aussi bien à l’écart pour manger un sandwich en buvant du vin ou qu’il soit sur scène pour parler de sa vie. Des brides de vie complètement loufoques lié à l’oppression du travail. L’Homme s’en rend t’il compte ? Faut-il le pousser dans ces retranchements pour qu’il voit les profondeurs de son mal-être ? Les situations parlent forcément au public qui a expérimenté le travail en entreprise. Une vérité en ressort et elle est blessante de vraisemblance.

Les comédiens se donnent corps et âme dans une pièce dont on ne peut ressortir totalement indemne. L’Avantage du doute a bien fait son travail. 

Où voir le spectacle?
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
75018 Paris

Jusqu’au samedi 4 mai 2019, du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 17h00

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