L’amour et le bonheur, voilà de beaux concepts. Et que cela soit dans l’Amérique des années 50 ou dans notre société moderne avec internet et les mangas, ce n’est pas facile à trouver.  L’espoir est-il alors tout ce qu’il reste ?

Le théâtre de l’Athénée aime proposer des spectacles assez étonnants. Et rassembler en une même soirée l’œuvre moderne de Pascal Zavaro « Manga Café » (2018) et l’œuvre classique de Léonard Bernstein, « Trouble in Tahiti » (1952) en est l’exemple type. Le brillant ensemble Les Apaches sous la direction musicale de Julien Masmondet s’allie avec cinq solistes hors pair pour emmener le spectateur vers un monde musical qui ne pourra vous laisser insensible.

Même si les décors font un peu carton-pâte par rapport à la qualité de l’écriture, du jeu et de la musique, la mise en scène de Catherine Dune permet de faire vivre les récits autrement. Ainsi on va aller dans un premier temps dans un manga café avant de s’envoler pour les Etats-Unis dans une banlieue bien proprette mais derrière les apparences se cachent bien des malaises.

Le rideau s’ouvre pour une immersion de quarante-cinq minutes dans la culture manga inspiré du récit de l’homme du train de Densha Otoko. Une histoire vraie où un jeune homme sauve une jeune femme d’une agression puis disparaît. Il arrive à retrouver grâce à internet. Pour s’incrémenter, nous voilà dans un café spécialisé où des comédiens en très mauvais cosplay occupent l’espace avec des mannequins en plastique. Thomas est un habitué des lieux. Lui, son truc c’est de porter le costume de Naruto. Et sous cette perruque rousse, on découvre la très talentueuse mezo-soprano, Eléonore Pancrazi. Elle va avoir des sublimes duos avec la soprano Morgane Heyse qui incarne la jeune amoureuse, Makiko. Le jeune Thomas raconte son aventure sur les réseaux et chaque personne qui lui répond partage un moment de sa vie réelle. Le monde des algorithmes laisse sa place à des contacts physiques. Mais quelques petits éléments viennent remettre en question la relation. En apparence dans le numérique ils forment un couple heureux mais est-ce bien réel ?

Après l’entracte, une autre histoire se raconte à nous. Dans un décor aseptisé, nous comprenons que nous sommes dans des quartiers chics qui ne sont pas sans rappeler le début du film « Edouard aux mains d’argent ». Léonard Bernstein, qui a écrit West Side Story a eu l’idée de cette péripétie lors de son voyage de noce avec Felicia Montealegre. Son homosexualité a dû l’aider à imaginer un jeu de duperie dans le couple même si son épouse était informée. Eléonore Pancrazi joue Dinah, une ménagère américaine, soumise, seule et dépressive. Elle ne peut échapper au carcan que lui impose la société. Après avoir vu au cinéma « Trouble in Tahiti », des questions vont lui traverser l’esprit. Un beau moment méritant un éblouissant solo avec un mélange d’humour et mal être qui se partage avec un public ravie de cela.  Son mari, Sam, s’impose dans l’image du mâle dominant américain qui a besoin d’alcool et de maîtresse pour sauver les apparences. Le baryton, Laurent Deleuil incarne avec force ce personnage sombre avec force et sensibilité comme le montre son solo qui lui a valu des applaudissements chaleureux du public. Le reste des chanteurs, Morgane Heyse, le baryton Philippe Brocard et le ténor André Gass tous de blanc vêtu, pommettes roses, répètent les vertus d’une belle société bien ordonnée. Un chant choral surprenant. Le contraste est saisissant et le comique de situation implacable. De plus, l’air chanté certes incite à rire mais reste dans la tête.

Deux versants d’un même miroir sur le désenchantement conjugal qui arrive à nous faire passer du rire aux larmes. Une prouesse extraordinaire qui a fait arrêter le temps pour nous confronter à une quête impossible d’un amour heureux.

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