Denis Podalydès a décidé de laisser ces compères de la Comédie Française pour se consacrer à sa première mise en scène d’une pièce de Marivaux. C’est au cœur des Bouffes du Nord que le « Triomphe de l’Amour » va naître. Les sentiments vont-ils être plus forts que la raison ?
Un cabanon en bois, mobile, trône dans un décor bucolique. Le personnage principal, alias Phocion, une jeune femme travestie en homme s’en approche en compagnie de sa servante, elle-même travestie. Une occasion de discuter afin d’expliquer le stratagème de cette démarche un peu atypique. Ainsi le spectateur comprend tout de suite vers quel type d’histoire il va être emmené. La malicieuse androgyne veut séduire ce jeune homme dont elle est tombée amoureuse, Agis. Mais pour cela, il faut qu’elle cache son identité. Le jeune homme apprendra ainsi à l’aimer pour ce qu’elle est et se rendra compte que certaines histoires reposent sur des inepties. Il l’aimera sincèrement et enfin ils pourront être heureux. Il retrouvera son statut social et tout pourra aller mieux. Mais la réalité va être tout autre quand les masques du mensonge et de la tricherie tomberont.
« Je ne dis point, avoue Léonide à Agis, que je vous aime afin que vous m’aimiez. Mais afin que vous m’appreniez à ne plus vous aimer moi-même »
Denis Podalydès possède ce savoir exceptionnel de comédien et donne toujours le ton juste aux personnages qu’il incarne. Il s’exerce depuis un moment à l’art de la mise en scène et connaît l’importance du mot. La nature s’impose et ce décor n’est pas sans rappeler « Le petit maître corrigé » de Marivaux au français cette année avec la mise en scène de Clément Hervieu-Léger. La présence de la Comédie Française se fera avec le travail du patron, Eric Ruth qui s’occupe de la scénographie. Et les costumes sont réalisés par Christian Lacroix, qui a quitté le monde des défilés. Un trio gagnant qui a déjà montré sa complémentarité dans de nombreuses pièces comme « Le Bourgeois gentilhomme », « Les fourberies de Scapin » ou « Lucrèce Borgia ». Pour les trois hommes, leur savoir-faire n’est plus à démontrer et cela se prouve sur scène.
« Votre jeunesse va se passer et je suis dans la mienne. Mais toutes les âmes ont le même âge »
Les comédiens ont alors un écrin de velours pour montrer leur talent. Jean-Noël Brouté et Dominique Parent se donnent à cœur joie d’interpréter les domestiques fourbes avec un phrasé très particulier qui poussent au rire. Thibault Vinçon joue Agis, un jeune naïf qui découvre l’amour qu’on lui avait toujours décrié avec méfiance. Philippe Duclos joue un philosophe stoïcien, Hermocrate qui se laisse aller à l’écoute des émotions. La palme du jeu revient à Leslie Menu, présente dans tout le spectacle qui met tout son cœur à jouer Phocion (la princesseLéonide), à donner des sentiments à travers les mots de l’amour. Elle veut croire aux sentiments amoureux qu’elle croit ressentir. Les sept comédiens servent avec conviction l’autopsie cruelle de Marivaux de la naissance du désir à l’aveu amoureux qui mène à la souffrance. Il manque un vent de folie, d’audace, de passion pour considérer ce spectacle comme un indispensable.
Cette pièce autour de l’amour qui n’a de triomphe que le nom. On aurait aimé se sentir emporté, transporté vers un ailleurs plein de fougue. Mais sur le siège du théâtre nous sommes restés où quatre applaudissements ont clôturé la représentation.
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