Les souvenirs du monde d’hier peuvent-ils permettre de construire un monde meilleur demain ? Stefan Zweig a vu sa société briller avant d’être petit à petit asservie et tomber dans la haine. Il a dû fuir encore et encore.
Stefan Zweig possède une plume incroyable. Une écriture fluide, agréable et qui ne s’encombre jamais de description. Il va toujours à l’essentiel que cela soit dans ces nouvelles ou soit dans ces biographies. « Le monde d’hier » est un ouvrage un peu particulier. L’histoire qu’il raconte est celle de sa vie où il a vu la montée des extrêmes et leur prise de pouvoir. Dans la grandeur de Vienne, dans un vivier culturelle intense, ces artistes, ces intellectuelles n’ont pas entendu les prémices de la haine. Quand, presque du jour au lendemain, les juifs devenaient des cibles idéales, la peur commença à s’insinuer en lui. Il fallait partir et vite. Même certains de ces amis craignaient de lui parler dans la rue. L’auteur était juif de sang mais athée de cœur. Qu’importe, l’identité juive lui colla à la peau. Même en Angleterre, à Londres, pendant la Seconde Guerre mondiale, ces origines risquèrent d’être un motif de méfiance. Une nouvelle fois, il a fui. Une échappée de trop pour cet amoureux des langues, des pays, de la culture. Un européen avant l’heure qui a préféré mettre fin à sa vie que voir encore des atrocités se poursuivre. Un message saisissant qui résonne de façon bien particulière en ces temps où la montée des extrêmes se constate partout dans le monde.
Ce saisir de cette autobiographie assez imposante (plus de 500 pages) est un défi surtout pour l’adapter au théâtre. Une prise de risque qui a su touché les spectateurs car la grande salle du théâtre 71 est remplie. Sénior et scolaire se réunissent pour pénétrer ces mots si puissants. Mais l’intensité du récit ne se retrouve pas sur scène. Jérôme Kircher tente d’occuper ce gigantesque plateau presque nu. On y trouve quelques chaises et des spots. Selon les extraits joués, il va se déplacer d’un point à un autre et changer de position une chaise. L’écriture est juste toutefois on ne se sent pas touché, bouleversé alors que l’on devrait. En partant de la salle, j’entends « j’ai cru que le spectacle avait duré 3h00 », « je n’ai pas tout saisi de l’histoire » ou « je me suis ennuyée ». Et moi aussi je ne ressors pas conquise comme j’ai pu l’être en allant voir des adaptations du « Joueur d’échecs » ou « Lettre d’une inconnue ». D’ailleurs, à la fin de la représentation juste les trois applaudissements de rigueur ont été fait et rien de plus. La mise en lumières de Christian Pinaud m’a intrigué. Sur le sol se projette des lignes, est-ce une figure des camps de concentration ? une partition où s’écrit la vie de Zweig ? un chemin tracé vers la fuite ? Ces projections se jouent avec les luminaires qui montent ou descendent selon les moments. Une idée assez jolie qui enrobe l’interprétation, tentant de lui donner plus de volume. Un travail qui doit avoir un rendu différent selon la taille de la scène et de la salle. Le théâtre 71 propose un bel espace qui a été utilisé dans sa totalité, chose assez rare.
Adapté une autobiographie au théâtre en 1h10 est un défi de taille. Malheureusement, la beauté du texte et sa sensibilité ne se sont pas fait ressentir. Dommage.